Le lancement à l'automne 2022 des premiers générateurs de textes et d'images a suscité un engouement inouï et toujours croissant.
L'intelligence artificielle a envahi le discours public où s'opposent technophobes et technophiles.
Sans entrer dans ce débat biaisé qui reporte sur la technique la responsabilité de ses usages, cette étude souligne la rupture anthropologique qu'introduit la génération automatique de textes et d'images.
Elle touche tant les sciences que les arts, et affecte l'ensemble de la vie sociale.
Mais elle peut aussi affecter la vie personnelle, et l'auteur se permet de démentir avec le sourire les annonces de sa mort que multiplie le plus populaire des systèmes d'IA.
Recensione di Pierre Levi
En lisant le dernier livre de François Rastier, j’ai retrouvé avec plaisir la langue châtiée, le ton légèrement ironique et la grande érudition d’un des meilleurs spécialistes de la sémantique. L’ouvrage s’ouvre sur la série d’événements qui a donné son titre à l’ouvrage, à savoir l’annonce de la mort de Rastier lui-même, plusieurs fois réitérée par Chat GPT. Le thème du livre est fixé : les LLM sont des menteurs. Non seulement ils affirment impudemment des fausses propositions, mais ils accompagnent sur les plans technique et même idéologique une vague culturelle antihumaniste ou post-humaniste que l’auteur déplore. L’argumentaire de Rastier s’appuie notamment sur ses théories du texte, du contexte et du corpus, théories pertinentes pour comprendre les générateurs automatiques de textes que sont les modèles de langue.
Pourquoi l’IA générative des LLM est-elle plus efficace que les diverses implémentations des grammaires génératives à la Chomsky pour rédiger des textes vraisemblables ? Les théories de Chomsky ne formalisent que le système de la langue, et encore, seulement l’aspect syntaxique. Mais elles négligent de prendre en compte ce qui se trouve entre ce système et les textes actuels. « Entre le système de la langue et les textes produits s’étend l’espace des normes de discours, de genres (ex : la poésie), de sous-genre (le roman policier), voire de style. Par leur masse gigantesque, les corpus d’apprentissage des IA génératives permettent de mettre en œuvre ces normes. » (p. 33)